Paire de vases montés d’époque Louis XVI en porphyre vert d’Alsace
Dessinés et sculptés par Jean-Baptiste Feuillet
Paris, époque Louis XVI, vers 1775.
Porphyre vert des carrières de Giromagny, département du Territoire de Belfort, en région Bourgogne-Franche-Comté ; montures en bronze ciselé et doré.
H. 45 cm ; L. 27.5 cm ; D. 20 cm.
Provenance : collection des comtes de La Rochefoucauld au château de Verteuil, en Charente, Nouvelle-Aquitaine, France.
Provenant de la prestigieuse collection des comtes de La Rochefoucauld au château de Verteuil, situé près d’Angoulême, en Charente, ces vases non évidés ont été dessinés et sculptés dans un bloc de « porphyre vert d’Alsace » par Jean-Baptiste Feuillet († en 1806), ancien directeur de l’Académie de Saint-Luc. Ils présentent une panse ovoïde couronnée par un double bandeau plat formant ressaut et amorçant, sous forme d’une arrête vive, un court et étroit col à doucine terminé par un bandeau en demi rond à bordures moulurées formant un léger débord et accueillant un couvercle fixe à dôme, le tout sculpté dans la masse avec une très grand précision. Une corolle de feuilles lancéolées et festonnées ponctuée d’une pomme de pin, très finement ciselée et dorée, orne le couvercle.
Remarquablement modelées d’après le célèbre modèle des deux lions égyptiens antiques en basalte retrouvés sur le Champs de Mars à Rome, et placés en 1582 au pied de la Cordonata Capitolina reliant la place du Capitole à celle d’Aracoeli[1], deux imposantes têtes de lion « coiffées » flanquent chaque vase, prenant appui sous le double-bandeau plat couronnant la panse, chacune surmontée d’une anse ‘à oreille’ à feuillages festonnés terminée par de larges feuilles d’acanthes disposées en « patte d’oie » contre le col du vase. Ces têtes de lion sont soulignées d’une crinière d’où chute une paire de pattes formant nœud.
Une riche corolle de bronze doré, à triple rangs de larges feuilles festonnées, vient rehausser la base de la panse de ces vases reposant sur un piédouche circulaire en « porphyre vert d’Alsace », à « bec de corbin » et base moulurée à double ressaut à arêtes vives. Un contre-socle de section carrée en bronze uni supporte l’ensemble.
L’un de nos vases fut peint par Anne Vallayer-Coster (1744-1818), une artiste qui partagea l’intimité de la reine Marie-Antoinette à laquelle elle donna des cours de dessin, ornant l’une de ses natures mortes, aux pêches, prunes et raisins, que l’artiste exposa sous le numéro 283 au Salon de l’an X de la République (1802), au Museum Central des Arts (Louvre) à Paris : « 283. Un Tableau représentant un panier de pêches, des raisins et un vase de granit orné de bronze doré »[2]. Cette toile est aujourd’hui conservée dans la collection Abigail Owen-Pontez, à Houston[3]. L’artiste rencontra très certainement au cours de cette période le comte Alexandre-François de La Rochefoucauld (1767-1841) et sa femme, Adélaïde de Pyvart de Chastullé (1769-1814), future première dame d’honneur de l’impératrice Joséphine. Le comte de La Rochefoucauld était en effet de retour à Paris depuis deux ans. Après avoir servi dans l’armée du général La Fayette en 1792 et s’être associé aux démarches de son père en faveur de Louis XVI qui lui valut d’être déclaré ‘hors-la-loi’ et contraint à l’exil, il regagna la France après le coup d’Etat du 18 Brumaire et rallia Napoléon Bonaparte.
Celui-ci le nomma préfet de Seine-et-Marne en 1800. Alexandre-François de La Rochefoucauld avait épousé, en 1788, Mademoiselle de Chastullé, la fille du comte de Chastulé, officier aux Gardes-Françaises et riche propriétaire à Saint-Domingue. Elle n’était autre que la cousine germaine d’Alexandre de Beauharnais, dont la veuve, Marie-Josèphe-Rose de Beauharnais, s’était remariée avec le général Bonaparte en 1796. Cette ‘parenté’ amena des « relations naturelles » entre le Premier Consul et le comte de La Rochefoucauld, et en 1804, l’Empereur nommera sa femme, première dame d’honneur de l’Impératrice, une charge qu’elle exercera jusqu’au divorce du couple impérial en 1809. A noter que deux dessins coloriés de fleurs exécutés par Anne Vallayer-Coster figurèrent dans les collections de l’Impératrice au château de Malamaison. En 1820, le comte de La Rochefoucauld acheta l’hôtel de Caraman, 28 rue Saint Dominique à Paris, qui prit alors le nom d’hôtel d’Estissac et resta dans sa descendance jusqu’à sa vente, en 1929. Cet hôtel, également connu sous le nom d’hôtel de La Tour d’Auvergne, et dans lequel figurèrent peut-être nos vases, abrite aujourd’hui la Maison de la Chimie.
Le modèle exact de nos vases, dans une version exécutée en porphyre serpentin noir, fut décrit en 1784 dans le « Catalogue d’une collection précieuse de marbres d’Alsace, tels que porphyre, granit, serpentin, &c. / Composée de Vases de différentes formes, comme Coupes, Cuvettes & Fûts de colonnes, tant en grande que petite proportion, dont plusieurs montés en Bronze doré d’or mat, & d’autres prêts à être dorés, exécutés sur de beaux profils & modèles de M. Feuillet / Le tout provenant de M. Du Pereux / Par J. B. P. Le Brun. / La vente s’en fera le Mardi 23 Mars 1784, & jours suivans, à quatre heures de relevée, dans les ateliers de M. Feuillet, grande rue du fauxbourg Saint Martin, maison du sieur Martin, Vernisseur, où les Amateurs pourront voir les objets les deux jours qui précéderont la Vente, depuis 10 heures jusqu’à une heure » : « 11 / Deux Vases de même matiere [‘serpentin noir’], aussi couverts & montés en bronze doré, à pomme de pin & rosaces sur le couvercle, à têtes de lions coëffés, feuilles d’ornemens servant d’anses ; le culot de feuilles d’eau & piedouches de même matiere. Hauteur 15 pouces 6 lignes [42 cm.], diametre compris les anses 10 pouces [27 cm.]»
Jean-Baptiste Feuillet et Jérôme Robert Millin du Perreux (1733-1794), écuyer, ancien receveur général des finances de la généralité de Rouen et ancien administrateur de la loterie royale de France, se connaissaient bien. Les deux hommes étaient liés au moins depuis 1773 par un « traité » « pour l’exploitation d’une manufacture de marbrerie » située à Giromagny dans le département du Territoire de Belfort, sur des terres appartenant à Louise-Jeanne de Durfort de Duras (1735-1781), duchesse de Mazarin, de Mayenne et de La Meilleraye, belle-fille d’un des plus grands collectionneurs du XVIIIe siècle, le duc d’Aumont (1709-1782).
Sculpteur-marbrier, Feuillet dessinait et sculptait ses propres modèles. Il modelait également des modèles en cire pour des montures de bronze destinées à l’évidence à sa propre production, mais aussi à celles entrant dans le cadre de collaborations avec de grands architectes tels que Ledoux ou Bélanger. Il collabora pour ce faire, et à plusieurs reprises, avec Pierre Gouthière (1732-1813), l’un des plus renommés ciseleurs et doreurs de son temps, ainsi que l’a révélé Christian Baulez[4]. La photographie ancienne d’un vase d’une paire, en porphyre serpentin noir, d’un modèle similaire aux nôtres mais plus étroit et singularisé par un col plus haut et un piédouche à doucine, orné de bronzes différents à l’exception des anses feuillagées à têtes de lion « coiffées » – il ne s’agit donc pas là de la paire mentionnée en 1784 dans le catalogue de la vente du Perreux – a été reproduit dans l’un des albums Maciet de la bibliothèque du musée des Arts décoratifs à Paris, semblant ainsi prouver que Feuillet exécuta au moins une variante de nos vases[5].
Jean-Baptiste Feuillet débuta sa carrière en 1750 en qualité d’apprenti chez Jacques-François Martin (maître en 1732), et fut reçu maître en 1760. Il se maria une première fois l’année suivante, puis une seconde fois, cinq ans plus tard, avec la fille du sculpteur Dominique Pineau (1718-1786). Etabli d’abord rue Poissonnière, dans des locaux loués à Louis Trouard (1700-1763), marbrier des Bâtiments du Roi, il s’installa en 1772 rue du Faubourg Saint-Martin, paroisse Saint-Laurent, locataire d’un immeuble appartenant à Jean-Alexandre Martin (1743 – après 1795), un des peintres vernisseurs du Roi, où il voisina peu de temps après avec le sculpteur-fondeur Pierre-Philippe Thomire (1751-1843)[6].
Le succès et la renommée de Feuillet sont incontestablement liés à l’exploitation des mines et des carrières de Giromagny qu’il put exploiter en créant autour de ce gisement une première société en 1765[7], puis grâce à une concession accordée le 25 mars 1773, par la duchesse de Mazarin, à une union de créanciers dirigée par Jérôme Robert Millin du Perreux, associé à un certain Antoine-Henri Patu des Hautschamps[8].
Il présenta des échantillons à l’Académie d’Architecture, le 7 février 1774, année au cours de laquelle il exerçait de surcroît la direction de l’Académie de Saint-Luc. Le 11 décembre 1775, Feuillet signa un ‘traité’ sous seing-privé avec Millin du Perreux et l’union des créanciers susmentionnée « pour l’exploitation d’une manufacture de marbrerie en Alsace, led. Feuillet étant chargé de ‘fournir tous dessins, plans, etc relatifs avec différents ouvrages qu’il serait nécessaire de faire exécuter dans ‘lad. manufacture »[9].
L’entrepôt de ces précieux porphyres et granits se trouvait chez lui à Paris où il prenait soin « de les orner et décorer ». Lebrun insiste en 1776 sur la capacité de Feuillet à réaliser avec « le plus grand soin » « ces matieres précieuses » en insistant sur ses études pour les réaliser et ses dessins pouvant être exécuter et adapter aux desiderata de ses clients. Parmi ces derniers figurèrent, nous l’avons vu, les architectes Ledoux, avec lequel sa collaboration est attestée dès 1773, et Bélanger pour lequel il intervint dès 1772, œuvrant ainsi, par leur intermédiaire, pour la plus prestigieuse clientèle du temps. Il eut également parmi ses clients les architectes Jacques Cellerier (1743-1814) et François-Victor Perard de Montreuil[10].
A ses talents de sculpteurs et de créateurs de modèles, Feuillet ajouta également les activités d’experts et de marchands, acquérant des œuvres au cours de grandes ventes aux enchères, ou vendant les siennes. Il ouvrit pour ce faire un bureau rue du Coq, près de la rue Saint-Honoré, haut lieu du commerce de luxe à Paris, un lieu qu’il conserva jusqu’en 1784.
Cette année 1784 marqua un tournant dans sa vie et sa carrière. Trois ans plus tôt, il fut victime de la résiliation du traité conclu entre la duchesse de Mazarin, Antoine-Henri Patu des Hautschamps et Jérôme-Robert Millin du Perreux qui, par acte du 19 février 1781 et suivant, soit moins d’un mois avant le décès de la duchesse[11], accordait désormais la concession des mines de Rosemont [Giromagny] en Alsace à Pierre Maneglier, bourgeois de Paris, demeurant rue Neuve-des-Petits-Champs, paroisse Saint-Eustache, sous le cautionnement desdits sieur Millin du Perreux et Patu des Hautschamps »[12]. Cette décision fut sans doute provoquée, si l’on s’en réfère aux commentaires du baron de Dietrich, par le fait que l’union des créanciers de Millin du Perreux, « ayant consommé la plus grande partie de ses fonds dans l’établissement d’un moulin à polir le porphyre et le granit, fut obligée d’abandonner des travaux que M. Broelmann, pour lors directeur, avoit remis en bon train ; on poursuivoit à-la-fois neuf galeries pour mettre les anciens travaux à sec. Cet abandon, fait dans le moment où les mines donnoient le plus d’espoir, permit à M. le duc de Valentinois, aujourd’hui au droit de la maison de Mazarin, de se mettre en possession de tous les bâtiments construits par cette compagnie ; une des clauses de la concession ayant expressément portée que les bâtimens retourneroient au seigneur, dans le cas où les concessionnaires abandonneroient l’exploitation »[13].
Ce revers de fortune incita Jérôme-Robert Millin du Perreux à vendre, le 23 mars 1784, « dans les ateliers de M. Feuillet, grande rue du fauxbourg Saint Martin », sa précieuse collection de marbres d’Alsace, le tout catalogué par Le Brun, et le 6 avril de la même année, Jean-Baptiste Feuillet fut à son tour contraint de vendre tout son fond d’atelier : « Catalogue d’une belle collection de marbres, tels que statues, bustes, vases, cuves & autres objets en marbre blanc, vases de pierre de Conflans, de Tonnerre, sphinx et autres, grouppes en plâtre, figures & bas-reliefs, bustes, nombre de parties moulées sur nature, d’ustensiles, tels qu’établis, valets, selles de différentes especes, caisses & autres, ciseaux, râpes, trépans, masses, spatules, vilbrequins & autres outils propres à la scultpure, le tout provenant de M. Feuillet ».
Le Brun, dans sa préface de la vente du 23 mars, regretta amèrement la dissolution de l’entreprise : « Animés du même esprit que les Grecs & les Romains, comme eux avides de gloire, & jaloux de forcer la postérité à s’entretenir de nos triomphes, de nos travaux & de nos arts, nous aurions protéger une telle entreprise, nous aurions secondés les efforts de ceux qui la dirigeoient, et nous n’aurions pas souffert que l’Etranger pût ou nous la ravir, ou nous reprocher de l’avoir abandonnée. C’est dans ce moment-ci surtout que nous devons regretter sa dissolution […] Nous espérons que les Curieux jaloux de comparer la matière antique avec celle que l’on appelle la moderne, ne laisseront pas échapper une occasion comme celle-ci ; occasion d’autant plus favorable que l’on entrevoit avec peine qu’elle ne se retrouvera de longtemps »[14].
Après la fermeture de ses entrepôts et magasins, Feuillet quitta Paris et s’installa à Versailles où il exerça désormais la charge d’huissier de la Chambre du comte d’Artois et du duc de Berry. Au moment de la Révolution, il se retira définitivement à Provins[15].
Le château de Verteuil, demeure des La Rochefoucauld depuis près d’un millénaire
Conçu sur un plan triangulaire avec une grosse tour ronde située à la pointe, un châtelet d’entrée médiéval, et deux ailes de logis, le château de Verteuil est répertorié dès 1080 comme appartenant aux La Rochefoucauld. En 1332, le roi Philippe VI (1293-1350) y séjourna. Durant la guerre de Cent Ans, par le traité de Brétigny signé en 1360, le château fut remis aux Anglais qui ne purent cependant entrer en sa possession qu’un an plus tard. Il fut en effet cédé à contrecœur à Édouard III d’Angleterre par le régent en Guyenne, Jean Chandos, le 25 octobre 1361. Assiégé par les troupes françaises commandées par le duc de Bouillon et Geoffroy III de la Rochefoucauld en 1380, il ne céda que cinq ans plus tard, après un siège qui l’endommagea considérablemeny. Après avoir été reconquis par les Anglais, c’est finalement, le roi Charles VII (1403-1461) qui le reprit définitivement en 1442. La châtellenie de Verteuil fut érigée en baronnie au XVe siècle. Elle s’étendait alors sur seize paroisses et comprenait soixante-deux fiefs dans sa mouvance.
François Ier (1494-1547) visita Verteuil en 1516, reçu par son parrain François Ier de La Rochefoucauld († en 1541). Anne de Polignac, veuve de François II de la Rochefoucauld, y reçut l’empereur Charles Quint (1500-1558), le 6 décembre 1539.
Cette dernière apporta de nombreuses améliorations au château et fit notamment bâtir sa célèbre bibliothèque. En 1558, Henri II (1515-1559) séjourna à Verteuil avec son fils, Charles, duc d’Orléans (1550-1574) et sa fille Elisabeth (1545-1568), la future femme de Philippe II d’Espagne (1527-1598). François III de La Rochefoucauld (1521–1572), beau-frère de Louis Ier de Bourbon-Condé, prince protestant, organisa en 1560 une rencontre à Verteuil entre le prince et le cardinal Georges d’Armagnac (c. 1501-1585), légat du pape Pie IV, ceci dans le but d’empêcher de nouveaux conflits. Deux ans plus tard, il se rallia finalement aux protestants, et en 1567, le sixième synode national de l’Église réformée de France se tint au château, point de ralliement des troupes huguenotes venus prêter main forte à La Rochelle, assiégée par les catholiques. Au lendemain des guerres de religion, le futur Henri IV, Catherine de Médicis ainsi que sa fille, la reine de Navarre, puis Louis XIII, Anne d’Autriche et la Reine-Mère Marie de Médicis se rendirent à Verteuil.
En 1650, François VI, duc de La Rochefoucauld (1613-1680), rassembla plus de 2.000 chevaliers qu’il conduisit à Bordeaux pour aider les nobles de la Fronde, provoquant ainsi l’intervention de Charles de La Porte, maréchal de France et duc de la Meilleraye (1602-1664) qui prit d’assaut le château avec les troupes royales. Verteuil fut alors partiellement détruit, perdit son orangerie ; ses tours furent démantelées, son pont-levis supprimé et son fossé profond qui défendait sa façade nord-ouest partiellement rempli. Le château demeura malgré tout habitable, et en 1651, y séjourna en particulier le prince de Conti, avant que n’y stationne une garnison de cent-cinquante hommes issue du régiment des gardes de la Reine.
Exilé sur ordre de Louis XIV, François VI fut finalement autorisé à revenir à Verteuil où il passa la majeure partie de son temps à écrire ses Mémoires. Son retour en grâce en 1662 fut suivi de la publication de ses célèbres Maximes en 1665. Mort à Paris en 1680, il fut inhumé dans la chapelle franciscaine de Verteuil, fondée en 1470 par son ancêtre, Jean, 16e seigneur de La Rochefoucauld, et 13e seigneur de Verteuil, et tous ses successeurs le furent également jusqu’à la Révolution. Elisabeth Farnèse (1692-1766), la seconde femme de Philippe V d’Espagne (1683-1746), passa quelque temps à Verteuil, et le célèbre agronomiste anglais Arthur Young, dans le compte-rendu qu’il fit de son voyage en France en 1787, donna une description détaillée et très flatteuse du domaine.
Au commencement de la Révolution française (1789-1799), les relations entre les La Rochefoucauld et les habitants de Verteuil étaient excellentes, et selon les dires du marquis d’Amodio, rien ne serait arrivé au château s’il n’y avait eu le comité de salut public de Ruffec et le député de la Convention Gilbert Romme, à qui est attribué l’autodafé de la plupart des archives de Verteuil, ainsi que la destruction de plus de trente portraits familiaux. Un incendie accidentel détruisit de surcroît, en 1793, la grande galerie reliant la chapelle à la tour nord, et la face ouest de la grande tour centrale fut aussi gravement endommagée à cette occasion. Le feu se propagea le long des toits et des tourelles de l’aile nord-ouest, et la partie supérieure de la tour nord brûla également, ainsi qu’une partie de la chapelle épargnant cependant la crypte. La plupart des sols et cheminées ainsi que toutes les portes, fenêtres et boiseries furent irrémédiablement perdus.
Après la Révolution, le comte Hippolyte de La Rochefoucauld (1804-1893), ministre plénipotentiaire en Allemagne et à Florence, racheta le château, et entreprit de le rénover. Les travaux furent réalisés par les La Villéon dans le style « troubadour », à la mode sous la Restauration. Des ornements de fenêtres et de fausses meurtrières furent ajoutés, ainsi que deux tours du côté de la façade sud, une flamboyante balustrade, des lucarnes, ainsi que des modifications au niveau de la chapelle. Durant le Second Empire, de nouveaux changements furent apportés, principalement à l’intérieur. Hippolyte de La Rochefoucauld remeubla la demeure, et restaura le grand escalier de pierre. Influencé par Viollet-le-Duc, il décida de transformer la large tour en bibliothèque, et commanda une copie de la statue de l’auteur des Maximes qui avait été exécutée par Didier Début (1824-1893), élève de David d’Angers, pour la façade de l’hôtel de ville de Paris. Son fils Aimery (1843-1920) et son petit-fils, le comte Gabriel de La Rochefoucauld (1875-1942), romancier et ami de Marcel Proust, poursuivirent les travaux. Pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), le château abrita des troupes françaises et des réfugiés d’Alsace-Lorraine ayant fui en 1940. Pendant plusieurs mois, il fut partiellement occupé par les allemands, et en 1944, des résistants du maquis s’y cachèrent.
Pendant toute la seconde moitié du XXe siècle et jusqu’à nos jours, le château demeura dans le giron familial des La Rochefoucauld, propriété d’Anne de La Rochefoucauld (1906-1980), fille de Gabriel et marquise de Amodio, de par son mariage en secondes noces, en 1948, avec le marquis John Julius Jean de Amodio (1909-2003). C’est elle qui fonda en 1958 la fameuse association de défense du patrimoine appelée Vieilles maisons françaises, qu’elle dirigea jusqu’à sa mort en 1980. Après le décès du marquis de Amodio en 2003, le château passa alors à la nièce d’Anne de La Rochefoucauld, Marie-Ingrid Sonia Gildine Thérèse de la Rochefoucauld (née en 1954) et à son mari, le comte Sixte de La Rochefoucauld-Estissac (né en 1946), descendant en ligne directe du comte Alexandre-François de La Rochefoucauld évoqué plus haut. Classé monument historique en 1966 et en 2010, le château fut mis en vente en 2020 en raisin d’un processus de transmission aux quatre enfants héritiers de la famille devenu trop difficile. Il appartenait aux La Rochefoucauld depuis près d’un millénaire.