Bénitier en bronze doré et lapis lazuli orné d’une gouache sur vélin montrant l’archange Saint Michel terrassant le dragon, d’après l’œuvre de Guido Reni (1575-1642)

Attribué à Luigi Valadier (1726-1785)

 

Rome, XVIIIe siècle, vers 1760.

 

Bronze ciselé et doré; lapis lazuli; peinture sur ivoire.

 

Bénitier en bronze doré et lapis lazuli orné d’une peinture sur ivoire montrant l’archange Saint Michel terrassant le dragon d’après l’oeuvre de Guido Reni (1575-1642) exécutée vers 1635 pour l’église Santa Maria della Concezione dei Cappuccinni à Rome.

 

H. 62 cm; L. 40 cm; Pr. 13 cm.

 

PROVENANCE: collection particulière.

 

 

 

Chef d’œuvre de l’art du bronze doré à Rome au cours du XVIIIe siècle, ce bénitier, daté vers 1760, est attribué à l’œuvre de Luigi Valadier (1726-1785), qui fut probablement le plus inventif orfèvre et bronzier romain de la seconde moitié du siècle. Il se présente sous la forme d’un luxuriant cartouche oblong et vertical de bronze doré dont la bordure est formée d’une juxtaposition de volutes feuillagées d’acanthes convexes et concaves, flanquée de deux têtes en ronde bosse très finement ciselées de chérubins ailés, celle de gauche tournée vers l’intérieur et celle de droite baissée vers le sol. Occupant le centre de l’objet, une gouache ovale sur vélin montre l’Archange Saint Michel terrassant le dragon d’après la célèbre toile peinte en 1635 par Guido Reni (1575-1642) pour le retable de l’une des chapelles de l’église Santa Maria della Concezione dei Cappuccini à Rome, où elle est toujours conservée aujourd’hui.

 

L’iconographie de l’œuvre évoque la vision de Saint Jean l’Évangéliste décrite dans l’Apocalypse dans laquelle il est apparu : “[…] un ange qui est descendu du ciel avec la clé des Abysses et une grande chaîne à la main [qui] a attrapé le dragon, l’ancien serpent – c’est-à-dire le diable, Satan – et l’a enchaîné […]” (Ap 20: 1-3). Remarquablement équilibrée, cette composition, dans laquelle domine le bleu lapis de la cuirasse frangée de l’Archange, trouve un écho direct aux précieux morceaux de lapis lazuli insérés entre le cadre ovale en bronze doré du tableau, mouluré, rehaussé d’une frise d’oves, et souligné d’une palmette flanquée de guirlandes de laurier, et la bordure même du bénitier. Couronné d’un fronton brisé et curviligne enserrant une imposante corolle de rayons symbolisant l’Esprit Saint, celui-ci est terminé, dans sa partie basse, par une ample coquille évasée à bordure rudentée formant un réceptacle destiné à accueillir l’eau bénite, coquille flanquée d’enroulements, de volutes et soulignées d’un double feston.

 

Loin d’être anodin, le choix du lapis lazuli trouve sa signification dans le symbole de la fidélité et de la foi, le bleu étant l’une des deux couleurs généralement utilisées pour représenter Saint Pierre, qui, sans les clefs, était en effet reconnaissable à son vêtement bleu et jaune. Le bleu symbolisant la divinité, la fidélité et la foi du premier Pape. N’oublions pas non plus que depuis les XIIe et XIIIe siècles, la « révolution du bleu », née de la théologie, était désormais solidement ancrée dans les arts. Dieu étant un dieu de lumière, il ne pouvait se manifester que de deux façons, soit à travers la lumière divine (lux), soit à travers la lumière terrestre (lumen). On choisit donc d’utiliser l’or pour symboliser la première, et le bleu pour la seconde.

 

Ce bénitier forme un écho direct à un dessin de Luigi Valadier passé sur le marché de l’art en 2015 et montrant un projet de bénitier similaire, doré et à fond lapis lazuli, auréolé de rayons et flanqué de têtes ailées de chérubins[1]. On y retrouve en particulier la même dextérité dans le jeu des volutes à enroulements feuillagées d’acanthes, alternant avec un remarquable équilibre les formes convexes et concaves. Le dessin montre également en son centre, un cadre circulaire orné d’une même bordure moulurée de bronze rehaussée d’une frise de godrons, et enfermant une scène religieuse dont seules les silhouettes à fond blanc laissant deviner une Vierge à l’Enfant sont esquissées. La sinuosité très audacieuse des volutes s’inscrit ici pleinement dans le rococo romain des années 1760 et rappelle celle de la célèbre suite de cadres pour cartagloria (cartes d’autel) créés par Valadier en 1762 pour l’autel de la chapelle Borghèse – la Cappella Paolina –de la basilique Santa Maria Maggiore à Rome. On retrouve également ce type de volutes soulignant le tintinnabulum conservé dans le trésor de la même basilique.

 

Valadier participe ici à la grande tradition romaine, amorcée dès la fin du XVIIe siècle, de productions de bénitiers luxuriants combinant le bronze doré, le lapis lazuli et aussi l’argent, et dont ne subsistent aujourd’hui que quelques rares exemples qui ont pour la plupart été étudiés par Alvar González-Palacios[2]. Citons en particulier les trois bénitiers exécutés vers 1702-1715 par Giovanni Giardini da Forlì (1646-1722), et respectivement conservés dans les collections du Metropolitan Museum of Art, acquis en 1995 grâce au Wrightsman Fund (inv. 1995.110), au sein de la Schatzkammer de la Résidence de Munich, et au Minneapolis Institute of Art, acquis pour ce dernier grâce au Christina N. and Swan J. Turnblad Memorial Fund et au Ethel Morrison Van Derlip Fund (inv. 63.35).

 

Orné d’un bas-relief en argent illustrant Marie l’Egyptienne, le bénitier du Metropolitan Museum of Art avait été réalisé vers 1702 pour le pape Clément XI (1649-1721), qui l’offrit à Giovanni Battista Borghese, ambassadeur du roi Philippe V d’Espagne auprès du Saint-Siège. Il appartint plus tard aux collections des princes de Thurn und Taxis au château de St.-Emmeram à Ratisbonne, en Allemagne. Très proche du précédent, le bénitier de la Résidence de Munich diffère cependant de celui-ci de part son ordonnancement central, orné des figures en argent de la Justice et de la Chasteté. Il abrite une relique étiquetée « De Pallio S.Joseph ». Ce bénitier-reliquaire fut offert en 1709 par le pape à Joseph de Habsbourg (1678-1711), empereur du Saint-Empire Romain Germanique sous le nom de Joseph 1er. Si ces deux bénitiers présentent un schéma reflétant encore pleinement le classicisme du XVIIe siècle, le troisième, conservé au Minneapolis Institute of Art et daté vers 1715, montre en revanche un dessin plus proche du nôtre, bien qu’encore très baroque, et reflète bien les modèles dessinés vers 1714 par Giardini, modèles qui seront gravés par Maximilian Joseph Limpach et publiés à Rome en 1750 dans un recueil intitulé Promptarium artis argentariae […] : invenit ac delineavit Joannes Giardini.

 

Deux autres bénitiers appartenant à ce même corpus très restreint sont conservés dans le trésor de l’abbaye de Montecassino (sala del Tesoro n. 2, vetrina n. 6 et 9). Ils ont été exécutés vers 1740, en argent, bronze doré et lapis lazuli à Rome, par Filippo Galassi (1685-1757), et présentent tous deux, au centre, un bas-relief ovale montrant une Vierge à l’Enfant, inséré dans un encadrement mouluré de bronze à frise de godrons similaire à celui du bénitier présenté ici. Également environnés de têtes ailées de chérubins, ils présentent en revanche un dessin encore très architecturé, à l’image du bénitier couronné d’une même corolle de rayons que la nôtre réalisé par Giovanni Antonio Fornari (1734-1809) et reproduit par Alvar González-Palacios dans Il Tempio del Gusto, Tome II, Milan, 1984, p. 141, fig. 315. Conservé dans une collection privée, ce bénitier en bronze doré et en argent, orné au centre d’un médaillon peint sur cuivre attribué à Sebastiano Conca, porte la date de 1762. Il évoque un très beau dessin anonyme montrant deux projets de bénitier, à la plume, encre et mine de plomb sur papier blanc, appartenant au Cooper Hewitt, Smithsonian Design Museum, à New York (inv.1911-28-174).

 

Ces objets de dévotion particulièrement précieux étaient destinés à un usage privé ou à de petites chapelles intimes. Leur perfection technique, qui est telle qu’ils surpassent de nombreuses œuvres en bronze réalisées à Rome au cours de la même période, peut se mesurer à l’aune de l’importance de leurs commanditaires, à commencer par le Pape en personne, ainsi que nous avons pu le mesurer ci-dessus. Ces objets servirent souvent de cadeaux diplomatiques de la part du Vatican ou furent pour la plupart réalisés pour le compte de hauts personnages de la cour papale, à l’image d’un autre bénitier en bronze doré et lapis lazuli de Fornari conservé à National Gallery of Art, à Washington (inv. 2012.107.1). Exécuté vers 1765-1775, signé FORNARI ROMA au centre d’un médaillon en argent représentant saint Jean-Baptiste prêchant, ce bénitier fut en effet acquis par Luigi Braschi Onesti (1745-1816), duc de Nemi, neveu et fils adoptif du pape Pie VI (1717-1799). Détail exceptionnel, il a conservé son étui d’origine en cuir octogonal frappé aux armes du duc.

 

 

 

Luigi Valadier

 

 

Luigi Valadier naquit à Rome, de parents français originaires du sud de la France, le 26 février 1726 et y demeura toute sa vie. À la fois dessinateur, orfèvre et fondeur, cet artiste-artisan hors norme travailla avec une remarquable dextérité toute une gamme de matériaux, combinant argent, bronze, pierres précieuses, émail, bois et verre, pour créer des œuvres d’art qui éblouirent l’Europe entière.

 

Formé dans l’atelier d’orfèvrerie de son père qui s’était établi à Rome vers 1720, Luigi Valadier hérita de l’entreprise, devenue l’une des plus renommée de la ville, à la mort de ce dernier en 1759. Il resta résolument établi à Rome et ne visita probablement jamais la France, malgré son héritage familial. L’expertise technique qu’il avait acquise au cours de toutes ces années, combinée à une très grande sensibilité esthétique, lui permirent de mener une carrière en tout point exceptionnelle. Pendant plus de deux décennies, entre 1759 et 1785, papes, souverains étrangers et nombre d’aristocrates vivant ou venant à Rome, se rendirent dans son atelier pour acquérir des objets d’une inventivité extraordinaire, dessinés et créés par lui. Plus d’une centaine d’artisans y travaillaient sous sa direction.

 

Mais malgré son immense renommée, Valadier fut accablé par une situation financière de plus en plus dramatique, due aux impayés et à ses très importants frais de gestion. Cause directe ou indirecte de son geste fatal, il se suicida, le 15 septembre 1785, en se noyant dans le Tibre. Son fils, Giuseppe (1762-1839), architecte talentueux, urbaniste et archéologue, reprit l’atelier familial et devint dans les années qui suivirent l’un des chefs de file du néo-classicisme en Italie.

 

 

[1] Plume et encre brune à rehauts de lavis brun, rose et bleu et de craie noire sur papier beige, 57.5 x 46.2 cm. ; vendu par Sotheby’s à Londres, le 10 décembre 2015, lot n° 139 D.
[2] Voir notamment Alvar González-Palacios, « Giovanni Giardini: New Works and New Documents », The Burlington Magazine, Vol. 137, No. 1107 (juin 1995), p. 367-376.